Nous l'entendons distinctement. C'est affirmé haut, clair et fort. Il faut sauver la planète, la biodiversité, le climat, il faut arrêter la déforestation. C'est urgent.
Mais encore et toujours, il y a de bonnes raisons de faire l'inverse de ce qui est proclamé. Encore et toujours, il y en aura.
Le dossier de la déforestation de la forêt de Sénart à la Croix de Villeroy est largement connu de nombreux acteurs politiques, administratifs ou techniques. Sauf qu'il y a des raisons supérieures que le commun des mortels ne parvient pas à comprendre. Demain, sur la même forêt ou une autre, des raisons supérieures, il y en aura encore et toujours...A quoi sert le statut de "forêt de protection" ?
L'illégalité de l'occupation
Pourtant il y a illégalité de l'occupation.
Les travaux envisagés dans le périmètre de la forêt de protection pour réaliser le chantier d'aménagement du carrefour N6/D33 ne sont pas anodins ; ils bouleverseront profondément le sol et le sous sol. La construction d'une route ouverte à tous les véhicules consacrera le changement de destination ; les différentes manœuvres des engins lourds de chantier ne seront pas sans conséquences.
C'est une occupation temporaire durable : plusieurs années ; elle cumule les infractions vis à vis du code forestier : la construction d'une déviation de la route D33 (première infraction), son ouverture au trafic public routier (deuxième infraction) et la pénétration des engins de chantier - à fin de manœuvre - dans la forêt de protection, à la périphérie de tout le chantier (troisième infraction).
Pour qu'un droit existe, il faut qu'il ait été créé. Le droit d'occupation revendiqué par les promoteurs de cet aménagement n'a jamais été crée. C'était impossible parce que contraire à la destination de la forêt de protection. La seule issue était de faire un déclassement partiel . Mais pour celà il aurait fallu démontrer qu'il n'existait pas de solutions répondant au besoin d'aménagement sans empiéter sur la forêt classée.
La question n'a pas été posée ; elle était politiquement incorrect. Les promoteurs du classement de la forêt, nos élus, auraient répugné à accepter en public, un nouveau grignotage de la forêt. Il était préférable de faire sans rien dire, de ne pas attirer le regard.
En bref rappelons le, nous y reviendrons :
- que l'occupation même temporaire de la forêt classée doit être conforme à sa destination,
- que cette occupation doit être conforme aux préoccupations d'écologie et de bien être des populations qui ont fondé le classement. Sinon, il faut impérativement faire une enquête publique en vue de déclasser la fraction à occuper.
Un peu d'histoire
Une Chronologie retrace quelques événements importants liés au projet d'aménagement. L'aménagement du carrefour est un projet ancien. Le vieux rêve d'une N6, pénétrante à haut débit vers Paris, existait dans les années 1970 et se poursuit aujourd'hui. Le dernier aménagement important, en carrefour à feux, a été réalisé vers 1985. Mais déjà il existait dans les cartons des projets plus ambitieux concus à une époque où l'écologie n'était pas censée être une préoccupation.
Les dés ont été jetés lors de l'enquête publique de 2005 menée sur les communes sur lesquelles reposent l'ouvrage. L’arrêté préfectoral n° 2006-PREF-DRCL/144 portant déclaration de projet de l'opération d'aménagement du carrefour de la Croix de Villeroy intersection de la RN6 et de la RD33 sur les communes d'Etiolles, Quincy-sous-Sénart et Tigery, et mise en compatibilité des P.O.S.- P.L.U. des communes d'Etiolles, Quincy-sous-Sénart et Tigery constate l'intérêt général de l'opération en date du 31 mars 2006.
Mais le droit d'occuper temporairement une partie de la forêt classée n'est toujours pas acquis.
Les pièces du dossier et les textes
Reprenons les différentes pièces de ce dossier tout en considérant le droit en vigueur.
Le classement de la forêt relève du décret du 15 décembre 1995. A l'issue d'une enquête publique. La direction de l'équipement de l'Essonne a fait exclure du classement les surfaces nécessaires à ses réalisations projetées parmi lesquelles figurent l'emprise de l'ouvrage à venir à la Croix de Villeroy. Des plans de délimitation indiquent sans ambiguïté les limites de l'espace classé.
Durant l'enquête une notice explicative a été produite conformément à l'article R411-5 du code forestier .
Cette notice indique l'objet et les motifs du classement envisagé ainsi que la nature des sujétions et interdictions susceptibles d'être entraînées par le régime forestier spécial.
Elle informe donc. Ce n'est pas un document créateur de droits de son fait, elle indique le pourquoi du classement et précise la réglementation mise en oeuvre.
La forêt de Sénart a été classée « forêt de protection » pour deux raisons dont la notice rend compte dans son §II.1.
-
a) raisons écologiques :
La forêt constitue un « filtre » à pollution qui permet le maintien d'équilibres biotiques gravement perturbés par l'urbanisation
La qualité écologique de cet ensemble boisé est confirmé par son appartenance à plusieurs zones d'intérêt écologique, floristique et faunistique.
b) Bien être de la population
Il est important d'offrir à la population un espace naturel de détente qui constitue un des éléments essentiels du patrimoine naturel du département de l'Essonne.
Dans la notice explicative existe un §II.6 : emprise et aménagement de la RN6. Il y est question d'emprises provisoires sans que l'on sache clairement où elles se situent. Ces informations ne créent pas de droit spécifique au profit des aménageurs de la N6. Evoquer un besoin n'est pas créé un droit exhorbitant ; le code forestier afférent aux forêts de protection s'applique, les travaux du BTP n'ont pas de dispense particulière.
Cette notice, et c'est logique, n'est pas une pièce référencée dans le décret de classement. Et, par ailleurs, rien dans ce décret ne prévoit de dérogations pour le BTP.
Pour bien comprendre le cadre juridique, examinons le statut des forêts de protection. Quels textes, quelle jurisprudence ?
D'abord l'article L412-1 et l'article L412-2 du code forestier indiquent qu'il y a un régime forestier spécial et interdisent tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements.
Ensuite l'article R412-14 qui est sans ambiguïté "à l'exception des travaux qui ont pour but de créer les équipements indispensables à la mise en valeur et à la protection de la forêt". Dire que la construction d'une route provisoire est un équipement indispensable à la mise en valeur et à la protection de la forêt serait un exercice des plus périlleux.
La jurisprudence a conforté le statut de la forêt de protection. Deux illustrations sont à notre disposition
D'abord un avis du conseil d'État, avis 357 397 - 16 mai 1995 le Conseil d'État rappelle qu'il vaut mieux exclure du périmètre de classement des zones non conformes pour un temps à la destination de la forêt de protection (ici en forêt de Fontainebleau des plate formes de forage".
«Il conviendrait toutefois, pour traduire juridiquement cette conciliation et éviter toute violation directe de la législation qui régit les forêts de protection, d'exclure du périmètre du classement l'emprise des plate-formes de forage en cause en indiquant de façon précise leur emplacement et en exposant clairement à l'enquête publique les raisons de cette exclusion, étant entendu qu'à la fermeture de ces forages et après remise en état des lieux, la réintégration de leur emprise dans la forêt de protection pourra être opérée par un classement complémentaire. ».
Il est clair pour nous que si la DDE devait se réserver des emprises provisoires, elle devait les exclure du classement quitte à les intégrer ultérieurement. Mais il aurait alors fallu que les acteurs de l'enquête publique de classement acceptent ces exclusions...
Ensuite, un arrêt fait une lecture sans concession du code forestier.
Dans son arrêt suite aux requêtes N° 44164 et 50367, arrêt Ravinetto, le Conseil d'État indique que même l'amélioration de l'état forestier initial ne saurait être un argument « que la circonstance que cette extension n’a été accordée à M. Y... qu’en contrepartie de son engagement d’améliorer, à l’issue de chaque tranche d’exploitation, l’état forestier initial tant des parcelles faisant l’objet de l’arrêté d’extension que de celles qui servaient de siège à la carrière précédemment autorisée par l’arrêté du 26 décembre 1973, ne permet pas de regarder l’extraction de matériaux comme constituant un travail ayant pour but de créer un équipement indispensable à la mise en valeur et à la protection de la forêt au sens des dispositions précitées de l’article R.412-14 du code forestier »
De manière analogue, nous ne pouvons regarder la mise en place d'une voie de déviation comme constituant un travail ayant pour but de créer un équipement indispensable à la mise en valeur et à la protection de la forêt.
D'autres textes administratifs, d'importance moindre, rappellent la force du statut de "forêt de protection". Il y a d'abord un document du Setra d'octobre 2004 "Les outils de protection des espaces naturels en France Aspects juridiques liés aux opérations routières." Le guide rappelle la jurisprudence du Conseil d'État et indique « la seule solution pour pouvoir passer outre la protection est de procéder à un déclassement. ... »
Il existe aussi un document de la préfecture de région adressé au Conseil Régional de mai 2006 dans le cadre de la révision du SDRIF " "Prescriptions relatives aux servitudes d’utilité publique, aux Projets d’Intérêt Général (PIG) et aux Opérations d’Intérêt National (OIN)"qui a un volet "forêt de protection" (en page 13 sur 146). On notera que ce dernier document n'existait pas lors de l'enquête publique mais ne peut être ignoré aujourd'hui.
L'événement le plus important après le classement de la forêt est l'enquête publique préalable à la déclaration de projet de l'opération d'aménagement du carrefour de la Croix de Villeroy, intersection de la N6 et de la D33 sur les communes d'Etiolles, Quincy-sous-Sénart et Tigery. Elle s'est déroulée du 18 avril au 28 mai 2005.
Dans le cadre de cette enquête a été annoncée l'utilisation d'une portion de la forêt de protection de Sénart pour servir de zones de manœuvre au chantier et pour construire une déviation provisoire de la D 33.
L'affaire avait toute l'apparence de légalité. Personne n'y a trouver à redire puisqu'il y est affirmée
-
que les emprises provisoires ont été prévues dans le classement de la forêt.
que la surface sera reboisée aprés les travaux
qu'il est prévu des mesures de compensation.
La première assertion est pour le moins trompeuse. Le décret de classement ne comporte pas une telle stipulation, il cite seulement une carte au 1/25 000, des plans de délimitation et des états parcellaires. Certes, les emprises provisoires avaient été évoquées ou envisagées. Comme dit déjà, le droit d'occupation n'a pas été créé.
Incidemment l'affirmation selon laquelle "des défrichements supplémentaires, (identiques pour toutes les variantes) à l'intérieur de la forêt de protection " est inexacte. Il faudrait dire (identiques pour toutes les variantes non exclues ). Il existait des solutions moins consommatrices d'espace forestier.
La deuxième assertion relève du minimum.
La troisième est de la poudre aux yeux. En fait les échanges de terrain annoncés se font entre acteurs de l'État. Le périmètre de la forêt de protection reste inchangée. Et nous voulons bien croire que si la DDE n'avait pas échangé les terrains, elle aurait respecté les régles des forêts de protection......C'est une « cuisine interne » entre DDA et DDE qui, depuis, ont fusionné.
Dans le cadre de cette enquête, un avis a été demandé à la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt de l'Essonne ( DDA) . Nous avons eu quelques difficultés à nous le procurer puisque nous avons du solliciter l'intervention de la CADA "Commission d'accès aux documents administratifs" pour qu'il nous soit finalement communiqué en juin 2009. Cet avis émis le 19 juin 2005 ne constate pas la mise en place d'une route dans l'espace protégé ni n'évoque des emprises dans cet espace. Il ne saurait être invoqué pour déroger au code forestier.
Enfin, en conclusion des enquêtes, l’arrêté préfectoral n° 2006-PREF-DRCL/144 portant déclaration de projet ne cite pas le code forestier.
Il ne peut pas modifier des droits dans la forêt de protection puisqu'il ignore cette réglementation. Et, d'une manière générale, une déclaration de projet n'est pas un acte créateur de droit.
Depuis il n'y a pas eu de faits juridiques qui auraient changés la situation de 2006. A l'issue d'un échange de courrier avec la direction des routes (DIRIF) nous avons eu une interprétation du code forestier qui nous a étonné mais n'a pas altéré notre lecture des textes. Ce courrier donne à penser que la direction des routes dispose d'une version spécifique de l'article R412-14 du code forestier.
Dans la lettre DIRIF du 18 septembre 2008 le Directeur de la construction des routes écrit :
« Toutefois, comme le précisait le document d'enquête publique, durant les travaux, une partie de la forêt classée sera occupée par la déviation provisoire de la D33. ...
Cette disposition n'est pas incompatible avec l'article R412-14 du code forestier qui prévoit des exceptions à la règle générale sous réserve :
-
que la destination forestière des terrains concernés ne soit pas modifiée.
-
que la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt n'y fasse pas opposition. Ces deux conditions sont réunies. ».
-
Et l'argument d'une exigence supérieure.
Enfin parfois dans le monde réel l'application des textes rencontre des difficultés qui peuvent conduire à en faire une lecture plus adaptée à certaines situations. Notamment, ici, il peut paraître utile de s'interroger pour déterminer dans quelle mesure les intérêts contradictoires de la forêt de protection et de l'aménagement du carrefour auraient pu être conciliés sans qu'il soit porté à l'un des deux une atteinte excessive qui conduirait à constater qu'il ne devait pas être sauvegardé.
C'est une question grave. Y avait-il des solutions à l'aménagement compatibles avec le respect de la forêt de protection ? La question n'a pas reçu de réponses.
L'administration n'a pas confronté les alternatives. Dans les documents présentés à l'enquête publique, il n'existe pas d'argumentaire démontrant que les objectifs de cet aménagement (réduire les accidents, améliorer la fluidité ...) et le respect du périmètre de la forêt de protection sont inconciliables : aucun scénario respectant le périmètre de la forêt de protection n'est envisagé. Pourtant ils existent.
Et quand bien même aucune solution respectant la forêt classée ne pourrait émergée, la solution est connue. Il faut envisager le déclassement de la zone nécessaire.
Et si demain la déviation en forêt de protection était construite.
Et, quand bien même la déviation serait construite dans la forêt de protection, elle ne pourrait être utilisée que pour un usage conforme au statut de la forêt de protection en supposant que cet usage se justifie (promenade de piétons, piste cyclable par exemple). Elle devrait rester fermée au trafic routier public. Une construction illégale ne suffit pas à justifier un usage illégal.
Version 02 du 06/01/2010